Philippe Païni
Architecture de l'orage, Ed.
Contre-allées, 2012
Comment fixer l'orage –
question ouverte: l'architecture de l'eau et de l'air suspendus dans
l'inquiétude du tourbillon remplace la pierre - oxymore vivant, comme tout
oxymore, de sa virtualité fragile, contraste entre figé et mouvant, entre quelque
chose où l'on habite et quelque chose qui nous habite, entre l'architecture
faite pour habiter et le tourbillon qui ne sait qu'arracher. Un tourbillon né de contraires qui se confrontent: dès la
première page, le lecteur aura compris:
"plonger" et "s'envoler" se confondent dans le souffle
suspendu. Quelque chose qui balaie tout, qui unit terre et ciel dans un
mouvement du corps qui nage "jusque dans / le feuillage des arbres on ne fait
plus de différence/ entre plonger et /un envol" mais en même temps,
quelque chose de très stable - comme une architecture - alors que l'oeil du
cyclone veille à ce que la fragilité d'un orage qui passe nous laisse des signes
inscrits – comme ces moments d'orage
pris dans un réseau englobant.
Mais l'orage "se construit" d'une page à
l'autre: l'état liquide avec les images
associées s'amplifie :"on mêle nos
corps à tant d'eau", "geste qui sans le savoir/ jette sa
lumière dans le puits de/ l'avenir proche le déjà/ présent"; "la même fontaine bouillonne",
"quand on jette /une pierre dans l'eau"; "on tire de loin
du noir l'eau/ qui étanchera la soif/ de chaque feuille"; "une
pluie irrigue un rien d'herbe et loin/ on entend déjà que l'avenir / est
un océan qui gronde"; petit à petit, l'orage naissant au fond d'un
puits ou dans cette fontaine qui bouillonne envahira tout, comme une
"rumeur" grandissante qui unit l'infime (de la feuille) à l'immensité
(de la soif), tout en inscrivant l'infiniment grand dans l'infiniment petit.
Cette tension mouvementée semble tenir ensemble
des contraires: finitude/ infini, pierre/herbe, premières fois/dernières fois,
rivière qui naît/perte. Mais on sent, étrangement, que tout se sépare de tout.
Le "même" se sépare de soi et pourtant "on s'attache aux formes
changeantes/ du même"; cet univers brisé en contraires est secoué par le
tumulte cosmique.
Et enfin, "tout" semble pris dans ce tourbillon étrange - mouvant et immobile
à la fois: on retrouve ce mot au commencement de plusieurs poèmes: 'de tout
ce dont être/si souvent prévisibles nous sépare"; "tout ce qui
pressent que l'orage vient se
dépêche"; "les arbres coiffent le monde/ mais tout bouge dans
l'air et le silence même"; "toute rivière qui naît
connaît/l'instant de sa perte": "tous les mots qu'on a jetés
aux poissons"; "on donne au présent/tout le passé".
Tout comme l'eau dans l'orage, les sons se
métamorphosent eux aussi: le "o" de l'"orage " se fait "aube",
"eau", "sol", "orbe", "dévore" et tout … "déborde".
Cette voyelle traverse les images et leur prête la cohérence particulière de
l'écoulement. La densité du poème y réside. L'écoulement du temps aussi.
Le mouvement, la métamorphose envahissent
également la coupure des vers qui libère parfois une double lecture; et le vers
"déborde": "une voyelle
d'aube/ en aube tisse/ nos jours". C'est à la fois "une
voyelle d'aube" et cette voyelle qui passe "d'aube en aube", qui
renaît transformée mais toujours la même, qui porte l'orage de poème en poème.
Enfin, vient "le pas d'après" qui
contient un vécu énigmatique, un orage secret qui fleurit en livre de poèmes. Cet
"après-orage" qui est du
sable, même pas du sable: rien que son "savoir".
Restent la soif et "l'infini … d'ici-même".
Marlena Braester
1 commentaire:
belle architecture effectivement
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