dimanche 21 décembre 2008

Bernard Vargaftig à Cerisy: bon de souscription

Méthode! Nous t’affirmons

REVUE DE LITTÉRATURES N°15


Béatrice BONHOMME Serge MARTIN Jacques MOULIN

avec les poèmes de

Bernard Vargaftig

L’énigme du vivant


Bernard Vargaftig né en 1934, est, de livre en livre depuis le milieu des années 60, l’auteur d’une oeuvre importante, qui a une place singulière dans le paysage poétique de ces dernières décennies. Chaque livre y est un poème qui travaille jusque dans l’infime détail vers et

proses, du titre au sommaire, de la composition d’ensemble aux syllabes et silences. L’ensemble de l’oeuvre fait un poème continu de l’écrire et du vivre. De l’espace à la vitesse, de l’oubli à la mémoire, de la nudité au dénuement, de la chute au tremblement, de l’effacement à la durée, l’enfance y est toujours un devenir en mouvement, l’amour un renversement inouï, l’histoire un infini récitatif de vivants. Le poème produit un incessant vertige et un questionnement continuel.


SOMMAIRE:

A. Beaujeu : Pour une mystique du mouvement : paysage de la chute et de l'élan dans Comme respirer

M. Bishop : Dire le non-savoir : pourquoi et comment. 

B. Bonhomme : Bernard Vargaftig ou le hiatus d'un intervalle. 

M.-A. Brouillette : Les inscriptions de la parole dans la prose de Bernard Vargaftig. 

E. Dazzan : L'espace de l'apparaître dans l'oeuvre de Bernard Vargaftig : entre mots, souvenirs et silence. 

A. Dominguez Rey : Le dire qui se dit sens dessus dessous. 

P. Grosos : La collusion des temps. 

C. Hubin : Le vacillement. Où la parole (se) dé-constitue. 

R. Lefort : Bernard Vargaftig : ramasser un caillou, toucher

le déferlement d'un feuillage. Le silence, le même. 

F. Loi : La musique de la mémoire.

P. Ma illar d : Le poème et l’image. 

S. Martin : Le poème: l’appel. 

J. Moulin : Autour du mot falaise dans la poésie de Bernard Vargaftig. 

L. Mourey : Bernard Vargaftig, l'exactitude du poème. 

P. Païni : Le corps du silence ou une érotique de la voix dans Distance nue.

A. Pelle tier : Partition / Répartition. 

G. Sapiro : Identité et mémoire dans l’oeuvre de

Bernard Vargaftig. 

L. Verdier : Bernard Vargaftig : vers le féminin du féminin.


38 €

ISBN: 978-2-906591-55-4


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samedi 20 décembre 2008

Une revue galicienne avec Bernard Noël


Une publication sur Bernard Noël : revue Amastra-N-Gallar, n°15 automne 2008.
La revue galicienne dirigée par Emilio Arauxio consacre son nouveau numéro à Bernard Noël. Un cahier de contributions évoquant ce que l’œuvre fait entendre de corps : du corps-langage, d’une voix où l’ « extime » travaille l’intime, du poème qui travaille ce continu. L’écriture et l’aventure du monologue y sont particulièrement présentes, notamment dans les notes prises par Béatrice Machet lors d’un entretien et d’une lecture publique à Coaraze, le 7 juin 2008. Les monologues où « le premier mot des phrases est un pronom. » (B. Noël) C’est aussi d’espace qu’il s’agit, de la voix qui s’y ouvre, du sujet, de la rencontre et de l’altérité qui nous transforme – « l’écriture qui trame cette polyphonie intérieure » (J. Ancet). A noter, entre autres, ces regards sur l’œuvre, qui se croisent et ouvrent le débat : les contributions de Jacques Ancet, « L’horreur et l’extase », Béatrice Bonhomme, « Bernard Noël, les mains cousant la lumière », Régine Detambel, dans « La Fente entre le mot et le mot », écrivant que « la rencontre avec l’anatomie n’est pas médicale, mais politique », que B. Noël est « un grand rêveur du corps interne ». A voir si ce rêve du corps se fait dans sa nomination… Signalons aussi Laurent Mourey « Ce livre en l’air – quelques notes continues au travers de La Maladie du sens », des poèmes de B. Noël que Résonance générale avait publié dans son numéro et une « Lettre autour du corps », des poèmes de Florence Pazzottu …
Contacter Amastra-N-Gallar, publicacion dirixada por Emilio Arauxio Apdo. Correos 97 36500 LALIN (Pontevedra).

vendredi 19 décembre 2008

Ben-Ami Koller: une oeuvre qui continue














Il ne terminera jamais la toile qui l’attendait sur le grand chevalet de l’atelier” a très récemment annoncé Annick Dollo-Koller en parlant de son époux Ben-Ami Koller. L’artiste est décédé prématurément. La cérémonie d’adieu se tiendra le samedi 20 décembre 2008 à partir de 10 heures au Crématorium du Père Lachaise dans la salle du Dôme avec une fleur jaune.

Je connaissais Ben-Ami depuis de longues années et j'ai suivi son travail jusqu'à ce qui l'a occupé ces deux dernières années après un voyage à Auschwitz. Quelques dessins issus de ce dernier travail figurent dans le numéro 2 de Résonance générale. Il aurait fallu en dire beaucoup plus, réaliser beaucoup plus de projets communs, mais la force des dessins et des toiles et le désir de simplement inviter à aller voir, à rencontrer cette oeuvre, semblaient suffire dans un premier temps. Nous avions bien d'autres projets... Il m'avait déjà accompagné dans la confiance pour deux livres : A Jour et Ma retenue.
Il va de soi qu'une telle oeuvre exige qu'on y revienne: Ben-Ami n'a pas fini de nous travailler. Nous n'avons pas fini de le compter avec nous.
Qu'Annick, Lysiane et Raphaël sachent que nous sommes de tout coeur avec eux.

Serge Martin-Ritman

Le site de Ben-Ami Koller:
Quelques belles remarques et des témoignages:
http://www.magazinedesarts.com/wordpress/?p=31
Une rencontre avec des élèves:
http://galerie.bleue.free.fr/benamik.htm

dimanche 30 novembre 2008

Un manifeste continué pour une "Résonance générale"

Nous publions ci-dessous les deux premiers textes d'un manifeste continué pour une résonance générale en attendant la suite très prochainement dans le n° 3 de Résonance générale...


Les manifestes, ou les textes qui ont pu jouer ce rôle, ne sont pas des modes d’emploi. Il sont l’accompagnement réflexif ou polémique de l’œuvre.

 

Henri Meschonnic, Politique du rythme, politique du sujet, Lagrasse, Verdier, 1995, p. 350.

 

1

Dans le mouvement même…

 

 

Sonorité générale. – Quel que soit le commandement de la rime sur le vers, quel que soit le gouvernement de la force et de l’ordre et de la nature du rythme, ce commandement et ce gouvernement ne sont eux-mêmes que des éléments, des composantes élémentaires, évidemment importantes, peut-être capitales, mais nullement épuisantes, et il s’en faut, de ce qu’on peut nommer la sonorité générale de toute œuvre, non seulement de tout poème et de toute prose, de tout texte, mais aussi bien de toute œuvre plastique, de toute œuvre contée, dessinée, peinte, de toute œuvre statuaire, enfin généralement de toute œuvre. Ce n’est pas la rime seulement et le commandement de la rime, ce n’est pas le rythme et seulement et le gouvernement du rythme, c’est tout qui concourt à l’opération de l’œuvre, toute syllabe, tout atome, et le mouvement surtout, et une sorte de sonorité générale, et ce qu’il y a entre les syllabes, et ce qu’il y a entre les atomes, et ce qu’il y a dans le mouvement même. C’est cette sonorité générale qui fait la réussite profonde d’une œuvre.

Charles Péguy, Clio, dialogue de l’histoire et de l’âme païenne (texte resté inédit à la mort de Charles Péguy) Œuvres en prose 1909-1914, édition de Marcel Péguy, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1961, p. 145.

 

« Sonorité » a, non selon Péguy et ce qu’il en fait pour penser les œuvres d’art et de littérature, mais selon les époques, quelque chose de musical. Et le problème pour le poème est qu’une pensée du sonore et du musical tient souvent lieu de pensée du poème et du langage : musique et sonorité des mots, lesquelles créent une séparation du langage à l’intérieur de lui-même entre son et sens, sens et forme. Mais le poème, l’art, la littérature et ce qu’ils nous poussent à penser du langage (penser le langage étant penser dans, par, avec le langage et les œuvres) sont le refus, la critique de ces séparations. D’où l’enjeu de penser, avec Péguy, une « résonance générale », avec, par et dans les œuvres.

« Résonance » parce que nous sommes du langage et parce que vivre dans le langage refuse de séparer lire-écrire-penser-vivre, parce que nous sommes des écoutes actives autant que des activités d’écoute. La résonance est à penser comme une poétique plurielle de la voix et des voix dans chaque voix. D’où cette idée aussi qu’un poème est une voix pleine de voix, qu’un poème n’est pas seulement un « poème », mais une subjectivité en train de se faire de tous ses accents, ses échos qu’elle-même ne connaît pas, une subjectivité à l’écoute parce qu’active. Une subjectivité qui ne fait pas le poème, mais que le poème fait – en lisant, en écrivant. D’où cette autre idée que nous travaillons à une poétique de l’infini et de l’inconnu. C’est pour cela que nous travaillons dans une inséparation du poème et de la théorie : en écrivant, en lisant, un tourniquet, inséparablement et à l’infini. Partir du poème pour toujours en repartir en passant par la pensée du poème et le poème de la pensée.

Le spécifique et le collectif, le général et le singulier, le pluriel et l’altérité sont ce qui fait chaque identité. Et chaque identité est un mouvement. « Résonance générale » pour entendre le sujet comme un rythme, une relation, une pensée du mouvement. Un premier numéro avec la pensée du rythme de Meschonnic, et prenant pour point de départ son « Manifeste pour un parti du rythme », est une première manière de penser et de faire lire ce qui nous rassemble : répondre « Manifeste pour un parti du rythme », répondre transitivement un certain nombre de problèmes, une série de problèmes dont les raisons s’enchaînent et montrent la solidarité de leur valeur, de questions ouvertes sur le poème, le langage, la vie dans le langage. Et qui dit poème dit œuvre de langage, rythme, et pas seulement, et même parfois pas du tout, poésie (en vers ou prose). C’est aussi à une critique de la poésie, des académismes sous ce mot, des définitions convenues de cénacles qui ne supportent ni ne résistent aux poèmes eux-mêmes, que nous travaillons. Et ceci, sans le vouloir, en le vivant et écrivant simplement : dans les poèmes, par les poèmes. Les manifestes indirects d’une vie et d’une poésie directes.

Une « résonance générale », donc.

Raisonner en résonant, raisonner nos résonances, dans et par elles.

Nous « opérons »…

 

… nous manifestons une première résonance générale

 

Et le problème poétique majeur, aujourd’hui comme toujours, n’est pas la poésie, mais le poème.

Henri Meschonnic, Célébration de la poésie, Verdier, 2006, 151.

 

 

nous avons le temps et il y a urgence : le contemporain ne passe pas

 

non

 

Nous donnons de la voix là où nous résonnons

 

les concepts

ne sont pas faits pour comprendre

le monde les concepts

sont faits pour faire pousser le monde

entre les je de nous

 

je ne t’ordonne pas de te taire

je te fais parler

« Ah ! insensé

qui crois

que je ne suis pas toi »

 

nous ne sommes pas ce qu’on dit mais notre dire et nous assommons ceux qui veulent parler de nous – et un coup de plus sur ceux qui veulent parler de la poésie, du monde, du reste, de rien

 

nos solitudes sont notre infini je résonne tu résonnes nous devenons

dans nos résonances nos passages dans nos voix

nos différences pour faire nos identités vers rien

d’autre que la vie dans la vie le multiple parce que rien n’est pire que l’identitaire quand il est un

 

et plus il est grand plus il résonne de chaque je le monde de chaque nous

pour qu’il y ait toujours plus à comprendre

et qu’on soit notre trop

dans l’équation l’inconnu

qui continue la vie

 

nous manifestons sans mot d’ordre et nous attaquons les voyous des pouvoirs et des contre-pouvoirs

nous travaillons seuls avec tous au poème de chacun pour et par l’autre en minant l’autruisme sous toutes les coutures de chair

 

manifestement nos voix ce mêlent

de ce qui les écoutent

 

la vie dans la voix la voix

dans ses gestes par nos verbes où nous répondons

l’autre en nous qui

pousse la voix où nous allons nous

verbalisons non des procès mais nos relations

 

ce qu’on connaît ne suffit pas pour vivre

c’est ce qu’on ignore qui fait la vie

et je suis enchanté de faire votre connaissance

c’est ce qu’on n’est pas qu’on devient qu’on se fait

le je te tu me du langage

 

alors résonner c’est généraliser

la voix à nos pratiques de mots la phrase en tête la vie

au langage généraliser le corps au mot la vie

à la phrase et tout

à toi

 

nous revendiquons notre situation en situant les autres et la critique est notre relation

nous critiquons toutes les critiques et d’abord l’éclectique qui fait le consensus des contemporains qui croient compter jusque dans la révolte en jeu de société

nous détestons la philosophie, l’être, l’étant, le néant, l’habitation et toutes les autres majuscules

 

il faut pousser les majuscules parce qu’elles prennent trop de place

on pense dans les interstices au milieu que penser pratique

on pense en plein dedans

 

la voix au visage le visage

dans la voix la bouche

sans objet d’étude ni de relation mais une relation pour plus

de sujet

dans la vie plus

de vie dans nos voix

 

nous détestons par-dessus tout la « poéthique » parce qu’elle prétend faire l’éthique en se contentant de l’afficher pour qu’une soi-disant philosophie éthique sauve l’esthétique qui n’en peut plus du poème

nous désirons de nouveaux concepts avec des mots communs qui font entendre des poèmes de la pensée plein de gestes touchants

 

non que dire car il y en a trop mais comment dire comment penser comment faire résonner est penser comment commencer est toujours recommencer pour aller vers ce qu’on savait déjà qu’on ne savait pas qu’on savait alors penser le silence pas autour mais dans la voix on savait sa voix du présent

 

le décor réaliste de la pensée n’a rien à voir avec le réel

son sens est durer de se faire oublier comme décor

se retirer de la pensée

son assurance-vie est sa cohérence

sa cohérence est mortelle

 

nous aimons les résonances qui approchent

nous généralisons chaque cas toutes les fois ici partout

nous avons perdu nos noms pour en trouver toujours d’autres

 

toute la différence entre savoir et faire connaissance

entre faire reculer l’inconnu et le faire pousser

 

pas de chemins pour nous mener mais de nulle part

jamais revenus

dans des baffes

dans des bafouilles

de sens il faut dire je

contre le nom

contre le nommer contre les logos de la penser et logolâtries

de la langue pure-impure

les pensées du culturel mais le culturel

ment puisqu’il est - correct !

 

tout ordre se maintient par sa méconnaissance de l’inconnu

prise pour le maximum de savoir

 

nous vivons dans et par le poème ; le poème vient dans et par le langage ; le langage nous trouve en vie dans et par nos rapports

nous cherchons les rapports de nos rapports

nous cherchons nos inconnus

nous connaissons quand nous aimons nos connaissances sans savoir les maîtriser

nous reconnaissons nos méconnaissances et nous méconnaissons nos limites

nous limitons les délimitations de l’infini, de l’inconnu, de l’impossible

nous sommes impossibles et intempestifs pour nous-mêmes

 

l’utopie du rythme a sa cohérence

qui n’est pas réguler ce qu’on sait

mais qui se construit à partir de ce qu’on ne savait pas qui nous arrive

 

contre les propriétaires de la pensée et ceux des territoires

de la langue – « qui bien souvent êtes les mêmes ! »

contre le philosophiquement-politiquement-linguistiquement correct !

 

nous tempêtons une résonance générale

nous signons toujours je en congédiant le moi des gagne-petit de l’auto-fiction et le nous des autorités qui prennent la parole à tous ceux qui disent bonjour tous les jours de leur vie chaque fois à neuf

 

je n’ordonne pas de te taire

 

l’écoute met l’oreille en chantier une fois pour toujours

dans la résonance critique 

 

nous voulons en finir avec la fin pour ici partout commencer

 

l’utopie nous met partout où nous ne savons pas jusqu’où elle va

c’est pourquoi commencer a lieu tout le temps

 

il disait faire sa liste de refus pour dire oui

 

 

 

2

Manifester pour écouter les sujets sous toutes les voix

 

Non, décidément il n’y a pas de demi-mot avec les poèmes. Et si le poème permet de peser quelque chose c’est bien l’air et contre lui quand c’est l’air du temps. Peser au sens de penser et d’écrire son poème de la pensée. Peser jusqu’à l’irrespirable…, sans mesure ni métrique. C’est en ce sens aussi qu’un poème a du souffle.

Le souffle d’un poème ne se mesure pas au spiromètre

Le souffle d’un poème toujours sans mesure fait l’écoute

D’une respiration qui circule de bouche en bouche

Dans l’air il y a du politique, de l’histoire, parce qu’il y a du discours et du langage. Peser l’air est une activité anthropologique poétique, une activité de poétique, parce que c’est une écoute de tout ce qui se trame, s’engage, se plie ou se déplie. Ainsi tout poème est tendu. Mais, avec lui, on ne refera pas le coup du livre sémiotique : non, il n’y a pas de poème ni de poésie sans les poèmes, pas de poème de la société ou du monde, si ce n’est à chaque fois dans et par le poème spécifique d’un sujet spécifique. Une critique, un poème, un art critique, sans prescription. Ni autre cohérence que celle d’un sujet par ses actes en acte d’individuation. Sans quoi il n’y a pas de critique. Une poétique de ? Oui ! quand le poème en est lui-même une écoute infinie, en ce sens une étude, une relation, et une relation de relation.

Quel air a ta voix ? Quel air de quel temps ?

Chaque air, chaque temps sont des présents des infinis mercis

Dans les bouches pleines d’air, d’oreilles, de corps, de langage

Mais que serait un poème s’il ne manifestait pas du sujet ? Manifester ne fait pas du phénomène ni de l’être, ni de l’engagement volontaire surtout quand celui-ci est de bonne conscience. Engager, oui, mais engager le sujet dans le poème, engager le poème dans le sujet, et c’est un geste éthique, le geste de l’éthique. Manifester est en ce sens créer une situation, en dehors de celles de la mondanité, pour aller vers soi, penser l’art, penser le poème, penser la vie, penser l’homme, son pluriel, penser l’individu dans ses prises et ses déprises. La société a donc besoin d’une poétique pour savoir ce qu’elle fait de l’histoire, du politique et de la situation des individus. Une autre question, qu’entraîne celle de la place, de l’écoute de ses poètes : qu’est-ce qu’une société fait du sujet, des sujets qui la font, des différences aussi, internes et externes, qui la déterminent ? C’est la question de l’éthique. De ce qu’elle fait de l’éthique.

Chaque jour : devenir le poète de sa vie

Chaque vie : trouver le poème de son langage

Chaque langage : inventer la poésie de bouche en bouche

Alors certains veulent des noms où il est curieux de voir qu’un geste qui désigne des victimes et qu’un geste qui désigne des martyrs s’entendent sur une chose fondamentale : répéter une essence – ce qui est un pléonasme, liquider la spécificité pour imposer un pathos et affirmer une figure et son pouvoir – ou l’inverse. Le stéréotype pour cela est pratique, et l’esthétique stéréotypique cherche à s’imposer dans toutes les pratiques de la pensée et de l’art, pour justement n’avoir pas à penser, pour être pensé par l’esthétique. L’essence est stratégique : les commémorations redessinent les camps de concentration, la fascination laisse interdit. L’archéologie conservatoire tourne tout le présent vers le passé. Vers un point du passé qui nous ponctue d’avance. Tourne toute utopie vers la centralité atopique, anhistorique d’une réalité historique réduite à une série de signes choisis pour leur capacité à structurer par avance toute perception de situations nouvelles. La morbidité est constitutive des commémorations. La morbidité leur est constitutive. Et cette morbidité se protège derrière, contre une éthique de la pensée, la morale du « devoir de mémoire », et la bonne conscience du devoir accompli, quand on a répété les quelques signes-étalons de l’époque. Alors résonnons, avec Vargaftig, la mémoire, si elle est question de souvenir, en est la problématisation : jamais rien ne se répète. La mémoire est vivante, entre vivants, elle est un présent. Alors libérons aussi les morts…

Ta mémoire fait mon oubli quand tes oublis font ma mémoire

Leur devoir fait leur souci quand leur intention fait leur action

Et les morts font les monuments quand les noms font les effacements

Mais tes morts font mes vivants quand ta vie fait mon langage

Et mes morts font tes mots quand ma vie fait ton cri

Ils sont encore trop ceux qui veulent voir mourir nos morts

Mais ton poème les appelle pour toujours des retours de vie

Barthes a raison lorsqu’il dit que l’histoire se fait dans les récits. Si nous entendons que les récits font l’histoire de l’histoire, ou nous racontent des histoires qui font l’histoire de leur idéologie, en donnant un sens de l’histoire et en créant l’illusion que c’est ça l’histoire. Tout se transforme ; aussi y a-t-il à se méfier du révisionnisme du taire et du silence qui couvre l’histoire des vivants : celle des sujets-langage, des poèmes de la pensée. Du révisionnisme qui essentialise « le Juif », qui met des « le », des « ils » dans toutes les bouches et à propos de tous les individus. Qui met même du « nous » pour effacer les « je ». Ainsi Claude Lanzmann, parlant de son  film Shoah : « je savais, dès le commencement de mon travail, que je voulais imposer notre propre vision de la catastrophe, celle des victimes et des survivants. » (Le Monde, 25 février 2005) Ce qui est un aveu troublant du statut que le cinéaste accorde aux discours pluriels et spécifiques qui font  Shoah et que défait d’un coup la volonté (« je voulais imposer ») de les réduire à  une « vision » et réduire les « victimes » et les « survivants » à un collectif objectivé. Il y a urgence à libérer les vivants et l’urgence n’impose pas d’aller vite, mais de travailler à son temps et à son rythme, ce qui n’est pas aller lentement non plus. Il y a urgence à penser leur historicité, c’est-à-dire le spécifique de leur histoire. Il y a urgence dans le même mouvement à penser l’art, le poème. Cette urgence, c’est celle que désigne Aharon Appelfeld dans L’héritage nu, quand il semble répondre à Lanzmann : « Le survivant lui-même fut le premier, dans son impuissance et le déni de son propre vécu, à créer l’étrange voix au pluriel du mémorialiste, qui n’exprime rien d’autre que de l’extérieur empilé sur de l’extérieur, de sorte que le dedans ne soit jamais révélé. » (p. 38).

Les gestes nous font signes de vie et

mouvements de mains serrées ou

visions d’une mémoire collective-individuelle.

Manifester fait des signes de la main,

vers la relation. Du sujet vers du sujet.

Baisers de voix, ouvertures de bouches et d’yeux.

Silences de voix, leurs ponctuations. Blancs

dans les mots, ceux du poème. Résonances

vers quoi vivre. Discours infinis de toi à moi.

Je t’écoute. Je te lis et j’embrasse ta mémoire,

tes silences dans ma voix. Je regarde ton corps ;

il se souvient avec moi et j’écoute ta vie dans

mon regard. Jamais je n’aurai entendu ainsi

ces deux titres d’Eluard ensemble : Capitale

de la douleur, l’amour, la poésie. Et d’autres encore.

D’où à penser : les poèmes, les œuvres transforment les rapports, la critique, le sens critique du langage. Nous n’en serons jamais sans voix car il ne suffit pas de demeurer interdit, ni au bout de la mémoire car nous avons le devoir  de désinterdire le présent.

Ils ont détruit ton corps croyant faire disparaître ton poème

Ils ont abaissé ton corps croyant éliminé ton langage

Ils ont exécré ton corps croyant tuer ta vie

mais ils n'ont pas pu interdire ton présent si vivant

et maintenant c'est ton présent qui nous commence

Tu as lancé mon poème pour que je vois ton corps

Tu as montré mon langage pour que je connaisse ton corps

Tu as augmenté ma vie pour que ton corps me porte

Alors résonnons, avec Ben-Ami Koller, les lignes et les transparences, les torsions et les épaisseurs, les déchirures et les rougeurs refont le travail d’une écoute de chaque tu chaque fois recommencé infiniment avec l’art critique : le poème comme une écoute de tous les gestes dans la voix, de toutes les voix dans chaque geste.

 

 

samedi 29 novembre 2008

« Le temps d’aller vers l’ouvert »










Une lecture de Dehors, d’Iraël Eliraz (éd. José Corti, 2008, 124 pages, 16 euros)

Le dernier livre d’Israël Eliraz, Dehors, éclaire encore ce temps ouvert du poème ; il en est le marque page et en continue le récitatif. Le carnet est ouvert : le journal d’un poème en chantier. (Ralentir travaux, disaient déjà Breton et Eluard.) Et c’est une écriture qui nous continue d’un bout à l’autre des recueils – et l’on peut reprendre entre autres Août, à la limite des choses perdues publié l’an passé tant ce qui est perdu est toujours là de venir se perdre dans le poème. Oui, ça travaille, l’ « infini incessant qui tressaille » (je cite Michaux, de tête).

La lecture continue. Sans a priori l’écriture du poème suit mais surtout précède cet ouvert. C’est la valeur d’ « aller vers » en lui : ce temps est une invention et une écoute, comme celle d’un léger froissement de voix. Mais les métaphores sont trop commodes... Quand je commence un livre d’Israël Eliraz je suis à peu près confusément sûr que je vais écrire, avec, pendant, après. Avec Dehors, je n’ai pas eu d’autre surprise alors que cette lecture pensive, suspensive.

C’est juste un cri, mince, qui se faufile au présent :


un cri sans forme, sans nécessité


une forme sans nom,

sans cesse (p. 124)


Les amoureux de la sémiotique auront sans doute quelques difficultés : le continu du poème ne s’inventorie pas ; il n’y a pas de corpus ni de totalisation possible. Un poème lu fait relire tous les autres, c’est la valeur de cette « nécessité », négative et illusoire, faisant que le poème n’est l’instrument d’aucun autre, d’aucun signifié, ni hyper-sens préconstruit ; il se lit toujours en revanche comme une relation à tous les autres, ce qui met son identité en œuvre d’altérité et de cohérence : faire et refaire l’ensemble, infiniment.

On vit dans les poèmes, dans cette minceur qui traverse, nous traverse, nous fait traverser, rencontrer du quotidien, mais sans qu’il y ait volonté d’épingler tel ou tel quotidien. Tout tient à cet étonnant ordinaire. On n’arrête pas de parler. C’est cette ligne, cette fuite (je cite, un peu et de tête aussi, Deleuze) : « passe à autre chose » (p. 75), où le présent appelle, de tous ses échos :


retenir quelque chose,

mais quoi ?


How long ?


Tard le soir, près de la terre,

crayon à la main


quelque chose s’est passé


Est-ce le mépris des fous ou

le bruit de tous ceux

qui se lèvent


contre moi (Psaume 74) (p. 76)


Mais à chaque fois, on ne dit presque rien. Cet insignifiant en dit long justement, comme au premier poème. Je cite cette définition:


l’élément naturel du poème

est de s’effacer


jamais le poème n’est

a priori. C’est


l’immédiat immense (p. 114)


Voilà pour les critères, dont l’immensité de chaque œuvre est l’invention. L’ouvert est la rencontre. Il y a toujours à ne pas conclure ni fermer. « Aller vers » n’a pas de fin ; on n’en revient pas. Tautologie ? Le réel qu’Eliraz semble opposer au poème, surtout à la toute fin du livre, (« au-devant, dehors, la route spirale / t’attend, depuis si longtemps, où / au seuil de Berechit », poème 19, p. 127 ; puis : « ne me parle pas d’un morceau de ciel aperçu entre deux cheminées // au bout de la route une route / des herbes, une forme fertile / ‘pleine de vérité’ », p. 128) est le réel du poème, au milieu de quoi on se perd : « cris d’insectes à l’unisson // on (qui ?) m’a promis une / bouche débordée / de boue vitale // et une masse de psaumes » (Ibid.) Rien que ce « (qui ?) » est critique. Ce réel n’est pas seulement « promesse », mais ce que donne le poème d’Eliraz. Un « réel » : dès qu’il y a œuvre de poème, des guillemets résonnent.

L’ouvert est la rencontre, du côté de l’irréversible, ce présent continuel qui sable la mémoire et, tout le temps, souffle, doucement, dessus.


ce qui devait arriver n’est

pas arrivé


On ne sait plus comment

finir l’histoire


Il n’est jamais trop tard


« Dehors c’est silence de lièvre » (p. 88)



Quelle histoire, que le présent.



*



Poèmes en lisant Dehors d’Israël Eliraz


(ouvrir la bouche)


quel vent nous traverse où

traversons-nous quel vent est-ce

à dire que j’invente

là où je me découvre

quelques hésitations je parle

la bouche pleine toujours

aller d’une vie à l’autre un trait

de vie en rencontres la vie en formes

de rencontres il y a à en

découdre du vent du vent

encore



*



(l’heur lent)

(avec quelques entorses à un poème très (peu) in(connu))


faire entendre quelque chose à voir

c’est l’inouï


mais voir éparpille un peu

de son silence


ce n’est rien d’autre qu’un peu

d’oreille prête m’en encore


c’est beaucoup pas trop jamais

assez


vivre la vie lente la vie

violente


l’amour nous passe la main

dans la main je me déguiserai


en ce que tu vois je t’apprendrai

par cœur des tours de cache


cache l’autre côté de la ligne invente-moi l’oreille

une certaine torsion de toute la voix


« une pause entre visible

et inouï » (Eliraz) tu passes en moi


la vie n’a pas de forme par-

ce qu’elle est sans cesse


j’exclame tu exclames je parle

dehors quel vent nous pousse dedans


Laurent Mourey