dimanche 26 avril 2009

Maurice Druon: (cac)adémicien


Quelques divagations à propos d'un enterrement de première classe:

Les seules personnes qui défendent la langue française (comme l'Armée pendant l'affaire Dreyfus) ce sont celles qui "l'attaquent". Cette idée qu'il y a une langue française, existant en dehors des écrivains, et qu'on protège, est inouïe. Chaque écrivain est obligé de se faire sa langue, comme chaque violoniste est obligé de se faire son "son".
Marcel Proust cité par Henri Meschonnic en exergue du chapitre 28 ("Génie de la langue et génie des écrivains", p. 318 dans Dans le bois de la langue, Laurence Teper, 2007.

On aurait pu s'arrêter à cet éloge funèbre au lieu des 4 pages du Figaro et du cortège de Président, ministres, sous-ministres, secrétaires de tous acabits... et autres "défenseurs de la langue française" qui s'échinent à communiquer:
Si vous voulez remporter le "Mondial" de la langue, c'est simple: ayez du génie. C'est ce qui manque le plus, chez les défenseurs du génie de la langue. (Henri Meschonnic, Le Bois de la langue, op. cit., p. 356).
On pourra bien évidemment lire la note sur l'ouvrage d'Henri Meschonnic dans le dernier numéro de la revue Le Français aujourd'hui (http://www.armand-colin.com/revues_num_info.php?idr=16&idnum=329863)et celle de Laurent Mourey sur ce blog.

On se souviendra de la déclaration dudit Maurice Druon:
"Jadis on apprenait à parler comme on doit écrire. Depuis une trentaine d'années, sous l'influence de pédagogies délirantes, on enseigne à écrire comme on ne doit pas parler" => commentaire de Meschonnic: Propos qui manifeste une ignorance et une incompréhension de la réhabilitation du français parlé, qui ne commence pas en "mai 1968", mais remonte à La Grammaire des fautes d'Henri Frei, en 1929. (dans De la langue française, Essais sur une clarté obscure, Hachette, 1997, p. 389).

Le secrétaire n'est plus perpétuel et on l'oubliera comme le premier Nobel... Voir, entre autres - mais il n'y a pas beaucoup d'autres, un bon papier à cette adresse :
http://www.microcassandre.org/?p=396

Encore Henri Meschonnic pour enterrer l'académisme et vivre la défense du langage:
"Le sens politique-poétique de la langue suppose certainement ue ambition. Mais dès que cette ambition se fixe sur la langue, au lieu de se placer dans le langage, elle n'est plus qu'une jactance. C'est le langage qui est en jeu dans la langue, pas la langue dans le langage.
Ce sens du langage n'est autre que le sens de la vie, en tant que ce sens transforme le langage. (...) Il est lié au sens de l'art, au sens de ce qu'est un sujet. L'infime, le fragile, l'imperceptible y comptent plus peut-être que des politiques de la langue. En quoi les derniers à faire l'activité d'une langue-culture sont les hommes dits politiques. Mais cette activité n'est pas seulement un passé. Elle est permanente. Sauf chez ceux dont les idées sont arrêtées. Et il n'y a peut-être vraiment de langue que tant qu'il y a une invention dans la pensée. Puisqu'une langue est une histoire, elle en a l'infini" (De la langue française, op. cit., p. 412).

Vous avez bien compté le nombre d'"hommes politiques" dont Druon a eu besoin pour son enterrement...
Et ce qu'il a fait, qui peut compter, doit avant tout à son oncle, Joseph Kessel...

Serge Martin

vendredi 24 avril 2009

Histoire et actualité des revues: une note sur Résonance générale n° 1...





Certes, ce numéro 41 de La Revue des revues nous consacre une très belle note (oui, cher André Chabin, on ne s'y attendaient plus mais on espéraient, on espéraient et voilà que c'est Clotilde Roullier qui fait une très belle note: merci à vous deux! - ne vous offusquez pas de cet accord avec "on" mais on est trois et même quatre comme les mousquetaires!), mais il y a aussi deux revues dont il est question avec article pour l'une et entretien pour l'autre dont j'ai bien quelques exemplaires dans mes rayons: est-ce que j'ai changé en passant de l'une à l'autre? Non! je fréquentais comme beaucoup la librairie de François Maspéro pour y acheter (ou feuilleter) Partisans et j'ai lu Commentaires parce qu'avant la fin du mur, on y lisait parfois des choses importantes sur les pays de l'est et parce que j'aime les revues, toutes celles qui sont bonnes même de l'autre côté... Et puis merci à Marc Duvillier de me faire découvrir The Booster (1937-1938), cette "anthologie dadaïste des plus étonnantes". J'en profite pour dire à Eric Dussert que je possède pas mal de Fou parle, malheureusement pas tous... Dernier mot: je trouve Yoann Thommerel dans son commentaire final de la revue Contr'un autour de Jouffroy un peu pessimiste: "un îlot de résistance"... Il y en a tellement qu'on ne voit pas le continent, l'Atlantide, qui fera passage et fait déjà passage : les revues servent à l'entendre gronder: on vous le disaient: Résonance générale...
Serge Martin

mercredi 22 avril 2009

Meschonnic, homme libre (article d'Alain Freixe)


Article paru dans l'Humanité le 16 avril 2009

Hommage . Ce poète n’écrivait pas des poèmes, il était celui que les poèmes faisaient. Henri Meschonnic est mort le 8 avril dernier.
Lodève, les Voix de la Méditerranée. Été 2008. Je viens d’écouter Jean-Yves Masson s’entretenir avec Henri Meschonnic. Riche de quelques questions, je le croise sur le stand de l’Atelier du Grand-Tétras qui publie la revue Résonance générale qui lui a consacré son numéro 1. Philippe Païni, Daniel Leroux, Laurent Mourey et Serge Martin, à qui j’ai emprunté le titre de cet article, en sont les rédacteurs. Je le retrouve ensuite sur le stand de la revue Faire part aux côtés d’Alain Chanéac et Alain Coste, qui la dirigent et qui viennent de publier, après un Jacques Dupin, matière d’origine, le poème Meschonnic. À ma proposition d’un entretien à paraître dans nos colonnes courant 2009, il répond, sans hésitation et avec enthousiasme, favorablement. J’allais engager l’échange quand la ramasseuse de sarments est entrée hors saison dans ses vignes. Henri Meschonnic est mort le 8 avril. Lui qui fut toujours homme de chantier, toujours à l’avant de lui-même, aventurier de la voix dans le poème, le voilà comme habitué à lui-même, à ses oeuvres.
Si « ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égard ni patience », selon les mots de René Char, alors Henri Meschonnic mérite les deux, par-delà toutes les polémiques et les inimitiés. Il est vrai que l’homme eut parfois la plume dure et le mot acéré pour nombre de ses pairs. Et ils sont nombreux car cet enseignant, professeur de linguistique et de littérature à Lille d’abord puis à Paris-VIII développa une oeuvre critique - critiquer fut toujours pour lui conduire une réflexion sur ce qu’on ne connaît pas - considérable toujours en rupture avec les discours institués ou les modes tant sur le plan des essais - comment ne pas citer son Pour la poétique IV, Écrire Hugo (1977) ou son Langage Heidegger (1990) - que sur celui des traductions - celles qu’il entreprit de la Bible, dès 1970 avec les Cinq Rouleaux sont demeurées célèbres. Sa grande originalité et ce qui donne cohérence à cet immense chantier fut de le développer à partir du poète qu’il entendait être depuis ses Dédicaces Proverbes (Gallimard, 1972) au tout récent De monde en monde, paru en janvier dernier aux éditions Arfuyen. Ce poète n’écrivait pas des poèmes, il était celui que les poèmes faisaient. Avec Henri Meschonnic, le poème passe devant, la poésie derrière. Entendons-nous, la poésie quand elle n’est que cet amour de la poésie qui « produit des fétiches sans voix » avec quoi malheureusement, selon lui, on confond la poésie. Avec Henri Meschonnic, le poème ne célèbre pas. Ne décrit pas. Ne nomme pas. Le poème est intervention - je ne peux m’empêcher d’entendre le « fini, maintenant j’interviendrai » d’Henri Michaux ! - ce qui suppose coupure et transformation. À Henri Meschonnic, on doit cette définition du poème : « Il y a poème seulement si une forme de vie transforme une forme de langage et si réciproquement une forme de langage transforme une forme de vie. » Alors le poème, cet acte de langage qui toujours recommence, ce rythme particulier qu’il est rend visible notre rapport au monde. Là est le grand apport d’Henri Meschonnic : avoir pris le parti du rythme - Critique du rythme (Verdier, 1 982), la Rime et la vie (Verdier, 1990, repris en 2006, collection Folio), Politique du rythme, politique du sujet (Verdier, 1995)… - le parti du sujet. Celui du continu tant le rythme, selon lui, contient à la fois l’objet et le sujet, le monde et l’artiste. « Subjectivation maximale du langage », le poème est rythme. Il est l’oralité même, la voix comme « mode de signifiance » du langage dans l’écrit comme dans le parlé. Le poème donne plus à entendre qu’à voir. Il donne à entendre ce que les mots ne peuvent pas dire, ce continu d’un sujet. Là se fait le partage : de sujet à sujet - « Je parle, écrit Henri Meschonnic dans De monde en monde, / pour partager le silence / qui pousse tous les mots (…) pour transformer le silence / c’est ainsi qu’on s’entreparle ». Cette théorie du rythme et du sujet rend indissociable poétique, éthique et politique. Le poème - l’oeuvre d’art en général - est acte éthique et politique. Comme tel il transforme le sujet qui le fait et le sujet qui le reçoit. Pour cela, Henri Meschonnic pensait que les poèmes étaient susceptibles d’être entendus par chacun et que mettant en jeu le langage - ce qu’on en sait comme ce qu’on en fait - il mettait en jeu la société elle-même. Henri Meschonnic ne s’est pas contenté de faire parti du monde - « on n’écrit ni pour plaire ni pour déplaire, écrivait-il, mais pour vivre et transformer la vie » - il sut y être présent. Et une présence, cela s’impose, s’expose. Et dérange. Comme un coup de vent. S’il déchire, il éclaire le paysage. À chacun d’aller vers ce qu’il ne connaît pas !
Alain Freixe

La photographie est de Régine Blaig à qui nous redisons, en publiant ci-dessus, cet hommage très fort d'Alain Freixe, toute notre affection.

lundi 13 avril 2009

contre-lettre à Henri Meschonnic

Marseille, le 13 avril 2009

henri vous disiez on ne sait pas ce qu’on transmet je répondais on ne sait pas
ce qu’on reçoit l’amitié
ne tient pas dans les noms
même dans les mains qui se tiennent dans les voix qui se mêlent l’amitié
déborde et c’est elle qui donne des mains à nos voix pour l’étreinte c’est elle
qui donne de la voix quand nos mains s’envolent dans vaste oui le ciel que l’amitié invente dans les têtes
et nous pouvons accueillir l’inconnu puisque c’est lui
qui fait une porte où il n’y a pas de porte
un voir de la vie où il y avait le mur aveugle de l’époque

henri aimer parler emportent c’est faire connaissance dans la surdité du savoir ce qui sourd
vient de loin l’avenir sur le bout
de la langue les lèvres font vivre et revivre un livre
et rire le rêve elles portent le réel celui
qui n’est que s’il est
ce dont de la parole nous nous échappons
ce qui nous échappe et c’est nous
à chaque mot et le réel
elles le donnent nos lèvres à qui
sait quitter ce qu’il sait
ce que l’on croit acquis
et nos pour toujours commencent toujours dans
chaque bonjour du jour

à lodève l’été dernier vous nous disiez on n’est jamais
seul et je l’entends encore tellement de bouche
en bouches que c’est vrai que ça continue
d’être un premier soir la table les rires
continuent de l’éclairer
une fontaine dans les paroles buissonne l’eau
de la vivante évidente rencontre et toujours
c’est nos premières fois
les mots ne peuvent nous retenir ils nous tirent
par la manche mais on est déjà
dans le monde tout autre qu’ils mettent au pluriel quand les mots
conjuguent entre eux le verbe
aimer
et on laisse
s’effilocher fil à fil on laisse filer
les mots qui voudraient
nous habiller en dimanche on marche vers
toujours plus nue
la nudité

on n’est jamais seul on continue
de naître et n’être rien
que cette marche à l’inconnu à l’aveugle
à tâtons puisque nos mains ne peuvent pas
ne pas se trouver on marche
à bouche que veux-tu nos questions s’amusent
à gorge déployée

on a fait nos cartons le monde
on le déménage en poète
on le déshabille de ses définitions on le déshabitue
de ses calendriers on l’infinit on a
de minuscules résonances pour faire trembler
le décor qui le majusculait et mettait sur nos cartes
vous êtes ici
au passé

avec ce qui sourd on fait
ce qui s’ouvre n’en finit pas
de s’ouvrir et vivre sens
dessus dessous en mettant cul
par-dessus tête la belle assurance
la suffisance des Assis
des ministres du cult
urellement correct

on parle la bouche pleine
de ce qui n’existe pas
encore et encore et enfants
on s’insuffit de toute la vie c’est pour ça
qu’un infini fleurit sur nos lèvres
nous enracine d’avenir lave l’oubli
avec la mémoire le soir
luit et jouit d’être le matin de la nuit
chaque jour on apprend dans le noir à voir
ce qu’on ne voit pas c’est la vie
cette nuit noire qu’on tire du puits et qui rince les visages
de ce qu’on croyait être avec
tout ce qu’on ne sait pas qu’on devient le corps
naissant à voix nue

on dit bonjour
a ceux qui vivent leur bonne nuit

je vous dit bonjour henri parce que ça commence
ça ne fait que commencer conjuguer penser
à l’intempestif présent
ce qui sourd c’est ce qu’on pressent que ça presse
que quelque chose bouge c’est le sens et le sens
c’est ce qu’on ne peut pas prédire c’est la rumeur d’avenir dans ce qu’on dit
mais on sent qu’il y a urgence et la rumeur court
plus vite que nous on respire on respire l’air libre au jour
le jour
à la vie la vie
on en rit
on en rit pour toujours

vendredi 10 avril 2009

Henri Meschonnic ne nous a pas quittés


Henri Meschonnic, décédé le 8 Avril, sera inhumé au cimetière du Père-Lachaise, mardi 14 Avril à 15h.

La pensée, la voix, l'amitié d'Henri Meschonnic restent bien vivantes en nous.




partout où je me tourne je

ne dois pas bien voir je ne

vois pas ce que je vois je vois

la joie de tout voir malgré

tout ce que je ne veux pas voir

j'ai quelque chose dans ma vue

je ne vois que de la vie


H.M., Tout entier visage