lundi 14 juillet 2008

Nu(e) n° 37: Jacques Ancet

Revue NU(e), numéro 37 (« Jacques Ancet »), septembre 2007, association Nu(e) (29, avenue Primerose 06000 Nice), 20€


 Peu d’œuvres peuvent supporter sans s’y perdre des lectures aussi différentes que celles que suscite Jacques Ancet. Béatrice Bonhomme et Hervé Bosio, les responsables de la revue NU(e) ont confié à Serge Martin le soin de coordonner ce numéro 37, qui permet d’aborder les lignes-forces, les paradoxes parfois, de cette œuvre prolifique et discrète – en tout cas jamais assignable. L’auteur le reconnaît lui-même, et dès l’entretien liminaire avec Serge Martin : écrire met en jeu, en résonances, en conflit, plusieurs postulations. Oui, la nomination, mais débordée toujours. Le mot, oui, mais toujours pris, repris, par l’ensemble de l’œuvre qui en fait l’écho, la nécessaire échappée de sens : « cette désignation multipliée semblait toujours pouvoir révéler au bout du compte le mystère infiniment simple de la présence » (13). Ce que dit Bernard Noël pour qui écrire est laisser « aux mots le soin d’être l’écho de la dérobée universelle » (46), « par suggestion », « par ce bruissement qu’est la sonorité des syllabes à l’arrière des mots ». Et c’est le paradoxe de l’écrire-Ancet : la conciliation impossible du « multipliée » et du « simple », du « bout du compte » avec « l’infiniment ». Ce qui fait de chaque poème à la fois une première fois hésitante et un une-fois-pour-toute résolument assumé : « la poésie, je ne sais pas ce que c’est puisque, oui, elle n’existe pas ». « Oui » et la négation, encore : « Ce que j’ai rencontré ce sont des textes ». Savoir vivant de poète, et de traducteur. La poésie, alors, est « une densité de langage » qui doit être toujours inventée, c’est « l’entre des genres ». Alors, quand on lit dans l’inédit L’égarement, que Jacques Ancet livre ici : « Je suis perdu dans l’entre-deux » (21), les postures s’effacent devant une réalité du faire irréductible à l’être-poète. L’espace est libre pour une « écoute de l’imperceptible, de ce qui se produit au-delà des sons, une écoute qui n’est pas non plus celle des mots, mais une latence du dire » (Amelia Gamoneda Lanza, 103). Et si Michel Collot peut y entendre « Une phénoménologie de l’imperceptible » c’est que, chez Jacques Ancet, « le dévoilement de l’être n’équivaut pas à la révélation d’une essence immuable, mais à l’événement toujours neuf d’une naissance » (83). C’était dit dès l’entretien avec Serge Martin : « l’acte poétique […] est la transformation de l’expérience en événement. Un événement de langage qui est avènement conjoint d’une parole et d’un monde » (11). Alors, c’en est fini des vieilles lunes des mots-absences des choses, mais « l’insuffisance du langage à exprimer le manque » (Fabio Scotto, 89) est à entendre comme un refus de se contenter, un appel à toujours plus de poème plutôt que l’allégeance somme toute satisfaite à l’esthétique du repentir. Oui, chez Ancet tout est question de « Nuance ». Terme par lequel Amelia Gamoneda Lanza désigne « une vocation de dénuement » (95). Ainsi, « en deçà et au-delà du perceptible » et pour une « sensation-monde », « les choses brusquement saisies à l’état sauvages » (Yves Charnet, 109 et sq.), le poème serait « retour aux choses-mêmes ». 
• Laurent Mourey fait retour à l’écriture pour donner à entendre « l’air des paroles qu’on a dans la voix » (135 et sqq.) : Jacques Ancet « fait de la mémoire une activité du présent dans le présent de l’écriture », « narrativité » et énonciation, ensemble – narrativité de l’énonciation, plutôt qu’énoncé narratif. D’où une rencontre avec le Marcel Proust du Contre Sainte-Beuve qui, lisant un auteur, distinguait « bien vite sous les paroles l’air de la chanson, qui en chaque auteur est différent de ce qu’il est chez tous les autres ». Le poème n’est plus seulement dans la poésie, on le trouve aussi dans le roman, dès lors qu’il y a « le récitatif menant le récit ».
 Il y a aussi, pour ce NU(e), les poèmes des autres, les résonants, dont je choisis quelques échos. Antonio Gamoneda (traduit par Ancet ) : « je n’ai appris qu’à ignorer et oublier mais l’amour / habite l’oubli » (51) ; Henri Meschonnic : « je recommence / à chaque autre / ainsi je multiplie / mes vies / de bouche en bouche / je marche mon infini » (63) ; Bernard Vargaftig : « Comme avant quel souvenir / Dont le désert a surgi / Pour avoir vu trembler le silence » (117) ; ou encore « Le poème de l’appel » de Serge Ritman : « Tu m’appelles dans sa voix infinie » (173) ; et Béatrice Bonhomme : « ton cœur battant au creux du mien » (133). Les « je », les « tu » de ces voix font, avec toutes celles que je n’ai pas évoquées, de ce numéro 37 (déjà !), une grande résonance autour de Jacques Ancet, un écho à sa propre attention à « ce quelque chose qui est là dans son absence » (James Sacré, 60), l’écoute et l’oubli, la relation, ce qui se passe, ce qui passe quand une œuvre suscite autour d’elle une levée de voix, des amitiés qui parlent leur écoute. 

 Philippe Païni

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