Ghérasim Luca, Sept Slogans ontophoniques, José Corti, 80 p., 2008, 8 € ; Comment s’en sortir sans sortir, Un récital télévisuel réalisé par Raoul Sangla, Coproduction La Sept/FR3 Océaniques/CDN 1988, 56 mn., DVD, José Corti et Héros-Limite, 2008, 25 €.
Ghérasim Luca (1913-1994) est plus que jamais d’actualité, étant entendu qu’il s’agit du présent de son intempestivité et non d’une quelconque correspondance avec l’époque et tout ce qui la rend insupportable. Le travail qu’accomplissent les éditeurs de la maison José Corti est exceptionnel parce qu’il est persévérant et toujours aussi vital avec un auteur-maison comme l’est Luca. Et rien – je pense au Poésie/Gallimard consacré à Luca – ne remplace ces petits volumes blancs, onze maintenant, qui constituent l’œuvre d’un auteur non seulement incomparable mais de plus en plus indispensable. Prenons ce dernier livre qui s’ouvre par une « entrée libre » pour qu’on entende tout d’abord les « sept slogans ontophoniques » qui donnent le titre à l’ensemble : oui, entrée libre pour qu’aucune langue de bois qu’elle se fasse publicité ou propagande ne puisse nous empêcher d’aller au poème, c’est-à-dire peut-être à la « porte donnant sur la voie ». Et ces poèmes de peu de mots ne manquent pas de voix et donc de typographie, de ponctuation (les blancs), de bégaiement (voir « ré alité »)… ou pour tout dire en un mot : de rythme. Parce que ces poèmes, s’ils narguent les aphorismes (voir les « sémaphorismes ») c’est pour mieux « v’ivre » par les refus : « ni ombre ni proie », « incréons ! » et, s’il n’en fallait qu’un, « criez taire ! ». Les poèmes de ce livre défient l’entendement et surtout le raisonnement du poétiquement correct : on est à cent lieues d’une poésie blanche mais également d’une poésie sonore qui l’une et l’autre perdent souvent leur dire en route. Luca renverse en effet tous les dualismes habituels. Sa conclusion :
l’esprit au pied de la lettre
la lettre au pied de l’esprit
la sentence fut exécutée
au silensophone
On sait que ce travail d’édition doit beaucoup à Nadejda Garrel et à Thierry Garrel auxquels on doit un double CD audio malheureusement indisponible. Mais grâce à Thierry Garrel, nous disposons maintenant du DVD de l’émission d’Océaniques datant de 1988 qui nous montre un Luca vêtu de noir sur fonds blancs exactement comme les livres de Corti nous donnent maintenant des pages manuscrites dans leur belle typographie. Les mouvements de caméra suivent au plus près l’inflexion du phrasé de Luca et ce récital filmé par Sangla nous permet de voir la voix tout comme la voix de Luca est ici écrite dans ce noir et blanc coloré au plus juste du récitatif de l’écriture. Le souffle se fait langage tout comme la peau du visage de Luca qui transpire légèrement et fait briller la voix sans que jamais elle ne s’éloigne de l’éthique d’un dire « passionnément » : « je t’écris / tu me pense ». C’est à la hauteur d’un « verbe » qui « danse / et s’éteint devant un témoin ivre » que ce DVD met son lecteur. Je ne vois pas dans la production actuelle, même sur la toile, quelque chose de comparable quant à la force du dire alors que l’enregistrement date de 1988 ! J’ai écrit « son lecteur » parce que c’est l’écriture qui ici s’écoute par la vue d’un impossible réalisé : « expirer en inspirant / inspirer en expirant ». Inouï ! pour tout dire.
Bref, ce « héros-limite » du tout « avec rien » offre une des plus fortes définitions-valeurs du poème : « une manière de s’asseoir sans chaise » ! Il suffit de le lire ou de le voir lire pour « faire miracle / de nulle chose » : écoutez Luca « à gorge dénouée » !
NB : Ce qui me permet de rappeler le collectif consacré à Luca : Avec Ghérasim Luca passionnément… (Actes de la journée d’étude « Ghérasim Luca à gorge dénouée », Université de Cergy-Pontoise, décembre 2004), Saint-Benoît-du-Sault : éditions Tarabuste, 2005, 138 p., 23 €.
Serge Martin
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