mercredi 4 mars 2015

Le sommaire du numéro 7 (sous presse)

Sommaire
Manifeste continué : dans les gestes, des histoires de voix……..…..
dans les gestes
Alexis Pelletier                   
comme la lumière………………………………..........13
Jacques Allemand                 
un moment, au retour………………………………….20
Yann Miralles                                 
infinir l’origine (Cédric Demangeot)………………….....31
Yannis Livadas (trad. du grec par Anne Personnaz) 
je ne suis pas complètement né encore ………….…….….39
Stéphane Korvin                  
à la mort de s’en aller (extraits)…………………….…..46

des histoires de voix
Stéphane Korvin
            « les toros s’ennuient le dimanche »…………..……. ……53
Sylvie Durbec                                  
journal de résidence …………………………….……63
Guy Perrocheau                 
d’un fil tendu relâché comment………………….….…..79
Laurent Mourey                   
cet oubli maintenant……………………….……….…88
Francine Charron               
je ne peux dire………………………………………..92
Françoise Delorme               
« que signifie se traduire en mots ? » (Alejandra Pizarnik)...99

on continue
L’ode de Jacques Ancet : la pensée par la voix (L. M.)…...117
Yann Miralles dans les passages amoureux du poème et Maël Guesdon ou le poème pour voir(e) (S. M.)……..................122


dimanche 11 janvier 2015

nous sommes je suis tu es

nous sommes

CHARLIE
JUIFS
NIGERIANS
SYRIENS
...

laïcs, libres et égaux

je suis, tu es


Ultimi barbarorum (Spinoza)

Je marcherai


Je marcherai cet après-midi.
Je marcherai bien que depuis deux jours de plus en plus d’amis expriment leurs doutes, bien que depuis deux jours de plus en plus de voix, dont parfois je me sens proche, s’élèvent pour dire que se taire serait la meilleure façon de faire entendre sa colère.
Je marcherai bien que. Et je marcherai parce que.
Parce qu’entre celui de voir récupérés nos cris et celui de voir récupérés nos silences, je préfère courir le risque d’être entendu.
Parce que face aux tentatives de récupération des uns, je vois comme une autre tentative de récupération les tergiversations contrites des autres.
Je marcherai parce que j’ai confiance en ce que Charlie Hebdo a été, est, et sera si nous prenons la peine d’y veiller : bête et méchant, irresponsable et… décidément irrécupérable.
Je marcherai parce que face à la condescendance de ceux qui ont toujours tout compris, face à leur air de ceux à qui on ne la fait pas et qui vous enfonce des portes ouvertes à longueur de petit billet d’humeur, il me semble sain de rappeler que la naïveté n’est pas toujours du côté qu’on croit. Je marcherai parce qu’il me semble, à moi, bien naïf de croire que bouder est, dans les circonstances actuelles, une action politique suffisante.
Je marcherai parce que le sarcasme ne suffit pas pour répondre au cynisme.
Je marcherai parce que finalement le sarcasme n’est qu’une façon de laisser faire, et l’idiote satisfaction d’un « je vous l’avait bien dit » un plaisir d’impuissant.   
Je marcherai sans naïveté. Et sans illusion.     
Je marcherai sans la naïveté de croire que tout à coup nous ne serons environnés que de soudains démocrates et de laïques convaincus. Je marcherai sans oublier que Charlie Hebdo n’a pas toujours reçu les soutiens qui auraient pu, beaucoup plus tôt, rappeler que la liberté d’expression n’est pas négociable.
Je marcherai parce que je me souviens, par exemple, que le NPA d’Olivier Besancenot, qui était avec tout Charlie dans Ras l’front dans les années 90, et qui refuse aujourd’hui le cortège unitaire et le risque de récupération qui va avec, et a préféré marcher de son côté (récupération ou pas ?), avait ainsi « soutenu » l’hebdomadaire et la liberté d’expression dans un communiqué du 20 Septembre 2012, lors de « l’Affaire des caricatures de Mahomet » :
«  Charlie Hebdo, disait alors le NPA, a atteint son objectif : faire parler de lui, mais, ce faisant, il participe à cette agitation démagogique, politique des tensions et de diversion à laquelle les médias se complaisent à donner la plus grande publicité ». Et puis : « À sa manière, Charlie Hebdo participe à l'imbécillité réactionnaire du choc des civilisations ».
Je marcherai parce que Charlie, cher Olivier, tu as raison, a effectivement réussi à faire parler de lui. Un peu plus sans doute, et un peu plus tristement qu’on ne l’aurait souhaité toi et moi. Mais je marcherai, vois-tu, pour que « les réactionnaires du choc des civilisations » n’aient pas raison un jour à force qu’on les laisse seuls saisir les tragiques opportunités de rappeler que la démocratie ça se défend, pour qu’on ne puisse pas entendre seulement leurs conneries aujourd’hui et pour dire aussi que leur définition de la démocratie n’est pas la nôtre.

Mais je marcherai aussi sans la naïveté de croire que la démocratie, la liberté, la laïcité sont des bienfaits que rien ne saurait plus remettre en question.
Je marcherai parce qu’à force de penser que la liberté de pensée est  acquise définitivement, j’ai bien peur que beaucoup aient simplement oublié de penser.
Je marcherai, bien que et parce qu’il y aura dans le cortège beaucoup d’ennemis et d’hypocrites. Parce qu’alors nous pourrons à jamais leur rappeler qu’ils étaient là ce dimanche 11 janvier 2015. Nous pourrons leur mettre sous le nez, demain, s’ils venaient à l’oublier, les images de leur contrition d’aujourd’hui. Nous pourrons leur renvoyer leurs discours à la figure et leur signifier que, dès lors, ne pouvons pas y entendre autre chose qu’un engagement fort, sans concession ni ambiguïté, et définitif.
Je marcherai sans illusion. Sans croire qu’ils sont à un reniement près. Sans espérer un seul instant les convertir à notre sens de la liberté, de la démocratie, et à notre sens de la dignité.
Mais je marcherai.  
Je marcherai parce que j’ai des fourmis dans les jambes.
Parce que l’urgence est toujours de penser, et qu’on pense mieux en marchant. Je marcherai parce qu’un gamin nommé Etienne de la Boétie m’a dit qu’ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux, le cul carré dans le moelleux fauteuil de l’autosatisfaction et bavotant devant sa télé quelques slogans pourris. 
Je marcherai parce que je me souviens d’un temps – pas si lointain, et pourtant, que de différences depuis – où, lycéens, nous étions quelques uns à rire chaque mercredi des dessins de Charlie, et de leur outrance délicieuse, et qu’on voyait en leur, en notre anticléricalisme, le plus primaire possible, une sorte de folklore, de tradition potache et sans grande répercussion sur la réalité. On y voyait seulement un hommage à quelques grands aînés qui s’étaient réellement battus, et avait réellement payé leur engagement pour qu’on puisse vivre enfin, sans l’obscurantisme et sans les relents rances des vieilles soutanes. On ne se doutait pas alors que bientôt on allait, chaque jour, nous resservir du Bondieu à tous les repas, à toutes les sauces. On n’imaginait pas, on n’aurait pu imaginer alors que chaque jour il nous faudrait bientôt rendre compte de notre athéisme et garder pour nous tout ce qu’on pense de toutes les religions, de tous les irrationalismes les plus tortueux. On n’imaginait pas, on n’aurait pu imaginer qu’un jour prochain la laïcité allait consister seulement à baisser la tête à chaque fois qu’un quelconque illuminé nous voue, au nom de quelque idole que ce soit, à toutes les flammes de tous les plus pittoresques des enfers.      
On n’imaginait pas que si vite, il nous faudrait, à nous aussi, à nous encore, inventer nos propres moyens de gueuler plus fort que le cri des corbeaux. De tous les corbeaux. 

Je vais marcher tout à l’heure parce qu’à chaque fois que je me demande s’il faut ou pas y aller, j’ai un Spinoza dans la tête qui se ballade dans les rues de La Haye avec une pancarte « Ultimi barbarorum ». Et que c’est à ses côtés, et avec quelques autres grands vivants, que je marcherai, comme chaque jour ils m’accompagnent.   


Putain, qu’est-ce qu’il fait beau aujourd’hui !
Et je marcherai tout à l’heure, depuis le Vieux-Port de Marseille, et à travers la ville, la bariolée, la bordélique, la encore un peu palpitante. Et je serai nombreux, j’espère, au soleil, à prendre l’air. Parce que c’est  décidément devenu irrespirable, l’époque !
Et s’il faut partager un peu de l’air qui reste avec quelques cons, avec quelques salopards, je veux croire aussi que malgré les larmes de crocodiles, malgré les faux-nez et les vraies sales gueules, qu’un peuple se souvienne, ne serait-ce que le temps d’une dépêche de l’AFP, que le temps d’un deuil vite oublié demain parce que quand même c’est les soldes, que le temps d’un dessin vite effacé sur le mur du temps, que sa liberté est fragile, et qu’elle demande un peu plus qu’un soupir résigné pour être défendue, eh ! bien ! c’est pas grand chose, mais c’est déjà pas si mal que ça !

Philippe Païni, Marseille, 11 janvier 2015

samedi 30 août 2014

Du silence et de quelques spectres : l'écoute avec Alexis Pelletier

Dominique Lemaître et Alexis Pelletier, Du silence et de quelques spectres (livre-cd), éditions Clarisse, 2014.

Alexis Pelletier écrit en écoutant, il écoute en désirant et il désire en pensant avec… la liste est loin d’être close car toutes ces activités n’en font qu’une dans et par le poème qui lui-même nous fait écouter, écrire (comme lire) et penser avec. L’adresse dans son poème est directrice : je veux dire qu’elle est la force qui fait tenir, poursuivre, aller avec. Mais dans ce livre, c’est la musique, à moins que ce ne soit tel musicien (Dominique Lemaître), tel morceau (Novae…) car c’est toujours à partir d’expériences que le poème va avec. Mais ce serait plus compliqué que l’accompagnement, que l’association des arts, que la relation de termes dont on serait bien assurés : la Poésie, la Musique – « ça n’existe pas », disait Desnos aux enfants !!! Non ! dès l’entrée de ce nouveau livre qui semblait nous engager dans des comptes rendus, certes pensifs, d’expériences avec la musique, nous voilà avec « une voix » qui pose la force de tout le livre : « cette voix est un lien d’espace ». Et c’est alors toute la force du poème avec : il (ou la voix) « fait mon corps » et « c’est aussi par elle que je vois / le monde et me déplace en lui ». Mais ce premier texte écrit d’abord pour (il faudrait ici encore dire avec) Claude Ollier, le voilà accompagné ou plutôt pris dans la musique de Dominique Lemaître pour s’y voir spectralisé – j’ose ce néologisme qui me semble bien correspondre à ce que Alexis Pelletier propose : « les références sont les spectres de nos langages ». Peut-être à entendre dans les deux sens du terme : étendue des fréquences et apparitions !

Mais comme le signale Alexis Pelletier, dans un moment réflexif-narratif du livre (mais tous les moments du livre et il faudrait ajouter du CD audio, sont dans le même mouvement : celui du poème comme écoute, désir, pensée), les références – fréquences de nos paroles-musiques et donc amplitude-registre mais aussi apparitions, revenances – font les conditions ou plutôt les « moyens » (Reverdy) de nos poèmes (en écriture comme en lecture). Mais les références qui ne cessent de travailler le font aussi bien par mémoire que par oubli, qui sont comme deux activités emmêlées, et voilà que l’amour vient danser avec Hybris entre évidence et mystère, entre exploration méthodique et perte de repères mais toujours « l’amour ne craint aucun fantôme ». Alors, Alexis Pelletier cherche un « nouveau corps amoureux » dans cet avec la musique de Dominique Lemaître (on se souvient de son précédent livre 51 partitions de Dominique Lemaître : j’en ai parlé ici : http://martinritman.blogspot.fr/2009/05/comment-le-poeme-met-la-narration-dans.html ) et le voilà sidéré – il écoute avec KSI pour douze percussionnistes les étoiles d’une temporalité-spatialité inouïe – même si l’écriture comme l’écoute est « une manière de se tenir » à côté en travaillant peut-être même surtout avec « cette idée de l’inconnu toujours entre nous ». Ce qui ne relève que de l’expérience et non de la représentation : aussi, avec Alexis Pelletier, le poème s’oriente-t-il entièrement vers l’expérience d’écoute et donc de pensée : celle de la nuit, par exemple – on pense bien évidemment aux mystiques espagnols quand on lit « Nocturnal », cette « prière de nuit » et sa « double solitude » que la pièce musicale « suppose ». Aussi, la réflexion cosmique qu’inspire au poète le musicien fait-elle jouer bien des hybridations qui toutes augmentent la force des commencements et des fins, la force des vies. Le thème du silence où s’entendrait certainement plus qu’un néant une puissance, au sens d’un tremblement, lui fait écrire cet appel : « au lointain / les arbres ou le désir ». Je passe sur la multiplication des références, scientifiques, littéraires et musicales, qui augmentent le (et les) spectre(s) de l’écriture d’Alexis Pelletier non pour obtenir un savoir, si ce n’est une vérité de son rapport à la musique et à d’abord celle de Domnique Lemaître, mais pour gagner ce que Rilke qu’il cite in fine visait : « faire partie d’une mélodie » et donc « posséder de plein droit une place déterminée au sein d’une vaste œuvre où le plus infime vaut exactement le plus grand ». C’est exactement ce paradoxe que le livre et le CD du poète et du musicien tiennent jusque dans notre écoute continuée qui aimerait se tenir avec cette mélodie ou, comme le suggérait Mallarmé, avec ce « petit air » et sa « jubilation nue ».

Serge Martin, été 2014

NB: Alexis Pelletier publiera prochainement dans Résonance générale n° 7.


Alexis Pelletier (récitant), Nathalie Dumesnil et Bénédicte Prédali (sopranos), Mathieu Samani (saxophone)
Ensemble Artedie, Teresa Ida Blotta (direction)
Oberlin Percussion Group, Michael Rosen (direction)
André et Monique Sirois (guitares), François Veilhan (flûte), Vladimir Dubois (cor)
Ensemble Ars Nova et Ensemble Orchestral du Conservatoire de Gennevilliers, Philippe Nahon (direction)

Extrait : DOMINIQUE LEMAÎTRE ALEXIS PELLETIER Du silence et de quelques spectres

jeudi 21 août 2014

Un livre de Laurent Mourey "où passer sa voix"

Laurent Mourey, C’est pourquoi voler, Montluçon, Contre-allées, coll. « Lampe de poche », juin 2014.


Ce n’est pas pour rien que son premier livre porte le beau titre D’un œil le monde (l’atelier du grand tétras, 2012) et voici le second : ce livre est comme tous ceux de cette belle collection « lampe de poche » des éditions Contre-allées : peu épais mais comme tous il est plein d’un gros livre : on lirait presque derrière le titre C’est pourquoi voler : c’est pourquoi voir… parce que dans la suite du premier livre, Laurent Mourey continue : « de nuit à nuit la vie s’invente / nos yeux sont le paysage / nous n’y voyons rien » : ainsi s’achève ou plutôt s’ouvre (nous ouvre) ce livre sur un « sait-on jamais », cette expression courante comme on dit couramment qui cache un non-savoir actif, une activité que ce livre – petit, ai-je dit mais gros, comme on dit de naissances à venir (« notre vie c’est naître / d’un temps où chaque temps / est le revers de l’autre ») – voudrait nous faire toucher des yeux ou plutôt des voix puisqu’il écrit : « dans ma voix toi mon imperceptible » : ce que je lis est exactement ce que me font ces lignes : « ton air de rien ta bouche » avec ses « mouvements interminables » qui « m’écrivent » : une trans-subjectivation à l’œuvre ou, pour parler tout simple et fort vrai, « des accords inconnus frisent nos têtes / un éveil du soudain qui claque un rien les battements de l’air ». Mais ce « faire ta voix dans encore encore » est à la fois l’écriture d’une énergie qui traverse, porte et commence sans cesse (« voler / vient d’abord »), et l’écriture d’une réponse à quelle question (le « c’est pourquoi ») qui en sens contraire creuserait, angoisserait même, du moins inquiéterait sans cesse (« le cœur nous remonte par le ventre // nous nous démenons de nous venir »)… mais toujours pour que voler recommence sans cesse : « de bouches aimantes deux pierres / se touchent deux corps / dans l’épaisseur le noir un passage / à mi-distance pas pour passer mais pour voir / où passer sa voix » : c’est le début du livre, le début d’un passage de voix, le début d’une lecture qui continue une écriture « pour voir / où passer sa voix ».

Serge Martin, le 21 août 2014