
Quelques divagations à propos d'un enterrement de première classe:
Les seules personnes qui défendent la langue française (comme l'Armée pendant l'affaire Dreyfus) ce sont celles qui "l'attaquent". Cette idée qu'il y a une langue française, existant en dehors des écrivains, et qu'on protège, est inouïe. Chaque écrivain est obligé de se faire sa langue, comme chaque violoniste est obligé de se faire son "son".
Marcel Proust cité par Henri Meschonnic en exergue du chapitre 28 ("Génie de la langue et génie des écrivains", p. 318 dans Dans le bois de la langue, Laurence Teper, 2007.
On aurait pu s'arrêter à cet éloge funèbre au lieu des 4 pages du Figaro et du cortège de Président, ministres, sous-ministres, secrétaires de tous acabits... et autres "défenseurs de la langue française" qui s'échinent à communiquer:
Si vous voulez remporter le "Mondial" de la langue, c'est simple: ayez du génie. C'est ce qui manque le plus, chez les défenseurs du génie de la langue. (Henri Meschonnic, Le Bois de la langue, op. cit., p. 356).
On pourra bien évidemment lire la note sur l'ouvrage d'Henri Meschonnic dans le dernier numéro de la revue Le Français aujourd'hui (http://www.armand-colin.com/revues_num_info.php?idr=16&idnum=329863)et celle de Laurent Mourey sur ce blog.
On se souviendra de la déclaration dudit Maurice Druon:
"Jadis on apprenait à parler comme on doit écrire. Depuis une trentaine d'années, sous l'influence de pédagogies délirantes, on enseigne à écrire comme on ne doit pas parler" => commentaire de Meschonnic: Propos qui manifeste une ignorance et une incompréhension de la réhabilitation du français parlé, qui ne commence pas en "mai 1968", mais remonte à La Grammaire des fautes d'Henri Frei, en 1929. (dans De la langue française, Essais sur une clarté obscure, Hachette, 1997, p. 389).
Le secrétaire n'est plus perpétuel et on l'oubliera comme le premier Nobel... Voir, entre autres - mais il n'y a pas beaucoup d'autres, un bon papier à cette adresse :
http://www.microcassandre.org/?p=396
Encore Henri Meschonnic pour enterrer l'académisme et vivre la défense du langage:
"Le sens politique-poétique de la langue suppose certainement ue ambition. Mais dès que cette ambition se fixe sur la langue, au lieu de se placer dans le langage, elle n'est plus qu'une jactance. C'est le langage qui est en jeu dans la langue, pas la langue dans le langage.
Ce sens du langage n'est autre que le sens de la vie, en tant que ce sens transforme le langage. (...) Il est lié au sens de l'art, au sens de ce qu'est un sujet. L'infime, le fragile, l'imperceptible y comptent plus peut-être que des politiques de la langue. En quoi les derniers à faire l'activité d'une langue-culture sont les hommes dits politiques. Mais cette activité n'est pas seulement un passé. Elle est permanente. Sauf chez ceux dont les idées sont arrêtées. Et il n'y a peut-être vraiment de langue que tant qu'il y a une invention dans la pensée. Puisqu'une langue est une histoire, elle en a l'infini" (De la langue française, op. cit., p. 412).
Vous avez bien compté le nombre d'"hommes politiques" dont Druon a eu besoin pour son enterrement...
Et ce qu'il a fait, qui peut compter, doit avant tout à son oncle, Joseph Kessel...
Serge Martin